CRIPS ÎLE-DE-FRANCE

Au coeur du Programme Tabado : interviews croisées de deux tabacologues

Depuis 2018, l’Institut national du cancer (INCa) coordonne le déploiement du programme Tabado dans toute la France.
Le Crips Île-de-France, partenaire du programme, est convaincu de son efficacité et de l'importance d'accompagner les jeunes dans l'arrêt du tabac.
Deux tabacologues et intervenants ont répondu à nos questions et se sont livrés sur le dispositif.
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Tabado : jamais trop tôt pour arrêter le tabac.

Depuis 2018, l’institut national du cancer (INCa), financé par le Fonds de lutte contre les addictions, coordonne le déploiement du programme Tabado dans toute la France.

Le programme Tabado propose aux établissements de formation professionnelle de type CFA, lycée professionnel ou encore MFR un accompagnement privilégié pour lutter contre le tabac.

Chaque année, le programme est proposé gratuitement à ces établissements où la consommation de tabac est supérieure à celle des filières générales.

L’efficacité du programme a été prouvée scientifiquement : deux fois plus d’arrêts ont été observés dans les établissements proposant Tabado.

Pour mieux comprendre les mécanismes du programme, ses enjeux et l'impact qu'il a auprès des jeunes, nous avons posé quelques questions à deux tabacologues.

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Pouvez-vous vous présenter ?

Olivia Amaros, tabacologue et référente dans un lycée du Val d'Oise. 

J’ai connu le programme Tabado il y a quatre ans, en tant que référente Tabado dans mon lycée Edmond Rostand, à Saint-Ouen-L’Aumône.

Benoît Felix, infirmier et chargé de mission au Crips Île-de-France.

J’interviens depuis trois ans dans le programme Tabado, en partenariat avec la Ligue contre le cancer, essentiellement dans les centres de formation d’apprentis (CFA). 

Comment le programme a-t-il été accueilli par les équipes éducatives ?

Benoit Felix - Les enseignants et enseignantes trouvent très important qu’on puisse rencontrer les jeunes sur cette thématique de consommation de tabac, sachant qu’à travers le tabac nous évoquons aussi la chicha et le cannabis. L’accueil est plutôt intéressé parce qu’ils savent que la consommation de produits est très forte dans le milieu de l’apprentissage.

Olivia Amoros - Au départ, je pensais que ça ne les intéressait pas beaucoup. La première année, c’est une étape plutôt difficile pour l’équipe éducative de se saisir du programme. Comme cela fait maintenant quatre ans que c'est mis en place, je crois qu’ils ont intégré le programme, ils connaissent les intervenants, c'est donc plus facile.

Quelles réactions ont les élèves lorsqu'on leur présente Tabado ?

Benoit Felix - Au-delà du tabac, de la chicha, du cannabis et maintenant la puff, les jeunes sont contents de rencontrer quelqu’un qui ne fait pas partie de l'établissement, avec qui ils vont pouvoir faire le point sur leur consommation ou celle de leurs proches. Ils aiment parler de leur difficulté à vivre et de l’impact que ça a sur la consommation de produits psychoactifs. Ils nous font confiance.

Olivia Amoros - Les jeunes, dès qu’il y a des gens de l’extérieur qui s’adressent à eux, ils aiment ça. Ils sont plutôt contents de converser avec des gens qu’ils ne connaissent pas, donc c’est bien accueilli. Ils sont plutôt ouverts.

Tabado, est-ce que ça marche ?

Benoit Felix - Beaucoup de jeunes fumeurs que je rencontre découvrent l’impact négatif de leur consommation de produits. On accompagne certains dans le sevrage. Cela ne marche pas à tous les coups, mais grâce aux séances collectives et aux entretiens individuels ils réduisent leur consommation. Certains arrêtent définitivement puisqu’on leur propose les substituts nicotiniques gratuitement. D’autres, dans le cadre d’un programme plus global associé au Mois sans tabac, essayent de motiver leurs proches à une réduction ou un arrêt de la consommation.

Olivia Amoros - Je vois, dans le lycée où je travaille en tant qu’infirmière scolaire et référente Tabado, que les jeunes connaissent déjà beaucoup de choses sur le tabac et sur la chicha. Dans les autres établissements, où il n’y a pas de sensibilisation, les élèves connaissent moins de choses.
Les évaluations que l'on fait, entre le début et la fin du programme, montrent une baisse de consommation et l'arrêt de certains jeunes. Ceux qui n’arrêtent pas arrivent quand même à diminuer leur consommation. J’en ai même vus qui se réinscrivaient l’année d’après et j’ai eu des jeunes qui ont été suivis durant trois ans sur leur cursus scolaire.

Quels sont les principaux atouts du programme ?

Benoit Felix - C’est de permettre l’accès à une information et à un sevrage gratuit aux jeunes qui en ont le plus besoin, notamment ceux en grande banlieue où l’accès aux soins est très limité. C’est aussi le fait de motiver les jeunes à réfléchir sur l’impact que le tabac a sur leur santé. C’est un programme qui mérite vraiment de perdurer.

Olivia Amoros - Le point fort, c'est que tout se passe dans le lycée : c’est plus facile pour nos jeunes, surtout quand les établissements sont un peu isolés. C'est aussi le fait que ce soit des professionnels qui viennent à eux sur les heures de cours. En sections professionnelles, on a une population qui est fortement en décrochage scolaire, alors si on demandait aux jeunes de revenir en dehors des heures de cours, ce serait difficile. J'ai eu des jeunes qui n'hésitaient pas à revenir pour participer au programme ou qui revenaient rencontrer le tabacologue même s’ils étaient en stage ou en-dehors de chez eux. Le fait que ce soit les professionnels qui se déplacent et qui soient là pour eux, c’est vraiment le point fort de ce programme. 

Que pensez-vous de la répartition entre séances collectives et entretiens individuels ?

Benoit Felix - La sensibilisation sur le tabac et les produits associés se fait collectivement, car c’est important qu’on rencontre le plus grand nombre de jeunes. Et les retrouver en entretien individuel est tout aussi important, car ils vont parler de leur situation personnelle, sachant que ça raccroche souvent à la santé mentale, à l’estime de soi, à la consommation de produits souvent associée à un contexte. Les deux approches sont complémentaires. 

Olivia Amoros - Certains jeunes ne veulent être suivis qu’en individuel, pas en collectif, ce qui est assez surprenant. D’autres ne participent qu’aux séances collectives parce qu’ils ne sont pas forcément des consommateurs réguliers. Les consultations collectives intéressent les jeunes quand ils ont des fumeurs dans leur entourage, ou bien quand ils sont consommateurs « festifs » de chicha, par exemple. Les deux formules sont complémentaires.

Quel avenir imaginez-vous pour le programme Tabado ?

Benoit Felix - On voit bien qu’il y a une recrudescence de consommation de tabac chez certains jeunes. Le Covid a isolé beaucoup de jeunes et causé du stress. Pour certains, la consommation de produits est une réponse partielle à ces situations de stress et d’isolement. C’est un programme qui mériterait d’être élargi à tous les lycées, à tous les établissements où il y a des jeunes adultes, adolescents et adolescentes qui consomment chicha, cannabis, puff ou tabac. C’est quelque chose qui mériterait d’être reproduit à une plus grande échelle.

Olivia Amoros - Que cela s’étende aux universités, par exemple. Nous parvenons à capter l'intérêt des élèves de seconde, mais ils n'arrêtent pas totalement car ce sont encore des jeunes consommateurs. Je trouve que ce serait une bonne idée d’étendre ce programme au supérieur, parce que c’est vraiment sur cette période, ces années, que les jeunes éprouvent le désir d'arrêter. Ils se rendent compte que ce n’est plus transgressif, que ce n’est plus une expérience, mais que leur consommation est plutôt bien installée ; que finalement il y a plus d’inconvénients que d’avantages, alors qu’en seconde ils voyaient plus les avantages que les inconvénients.

Y a-t-il une anecdote qui vous ait particulièrement marqué ?

Benoit Felix - Je me souviens de ce jeune qui venait s’informer pour son père, parce que la maman était décédée depuis longtemps. Son papa fume et tousse tous les soirs. Il a très peur pour son père, qu'il meurt d’un cancer lié au tabac. C’était très touchant, il avait les larmes aux yeux en me demandant des outils et des messages à faire passer à son papa, pour le garder le plus longtemps possible.

Olivia Amoros - C’était avec un jeune que je connaissais qui habitait loin de l’établissement. Quand je l’appellais pour des consultations Tabado ou des événements en lien avec le programme, il se déplaçait. Je trouve ça assez touchant parce que ce n'est pas « dans les mœurs » de nos élèves, pourrait-on dire. Donc, quand les jeunes se déplacent pour des choses facultatives, c’est vraiment gratifiant.

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